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Jean-Yves Le Drian : "L'insurrection aux Etats-Unis nous enseigne qu'il faut rester vigilants"

INTERVIEW - Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, explique au JDD que la relation franco-américaine va pouvoir repartir sur de nouvelles bases grâce à une Europe qui a changé sous Donald Trump.

François Clemenceau , Mis à jour le
Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian.
Le ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. © Eric Dessons/JDD

Une semaine après l'assaut contre le Capitole et à trois jours de l'investiture de Joe Biden , avez-vous des doutes sur la solidité de la démocratie américaine?
Je suis comme beaucoup de Français, encore marqué par l'effroi provoqué par ces scènes hallucinantes. Personne ne pouvait imaginer assister à cette journée insurrectionnelle à Washington. C'est un paradoxe car la démocratie venait de faire preuve de sa vitalité avec une participation record aux urnes. Et pourtant, ce vote historique a été remis en cause par la diffusion répétée depuis quatre ans de fausses informations qui érodent la démocratie en enfermant une partie de la population dans une réalité parallèle et artificielle, le tout attisé par un chef de l'Etat qui combattait les résultats validés de cette élection. Ceux qui s'étaient enfermés dans une vérité alternative l'ont cru. 

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Lire aussi - Assaut du Capitole : comment le discours populiste de Donald Trump a conduit à l'insurrection de ses troupes

Mais face à l'insurrection, la démocratie américaine a tenu…
Oui, et elle s'est même réaffirmée. Parce qu'elle a des anticorps qui se sont manifesté de façon spectaculaire, le droit, la justice et le parlement. Intimement, j'étais persuadé que cette insurrection n'irait pas à son terme. C'est une victoire à la fin de la démocratie, de la raison et de la vérité, car oui, ces mots ont encore un sens. Mais cela nous enseigne qu'il faut rester vigilants. En démocratie, rien n'est jamais acquis. Il faut dans un état de droit mesurer en permanence l'importance des contrepouvoirs.

Estimez-vous que ces quatre années avec Donald Trump n'auront été qu'une parenthèse?
Ce serait une erreur d'appréciation, au niveau international et de la relation transatlantique, de se dire qu'on va revenir comme avant. Ce n'est pas le cas. Car les grands défis mondiaux se sont aggravés depuis quatre ans et les nouvelles autorités américaines vont le mesurer. Mais aussi parce que ces dernières années, l'Europe a changé. Elle s'est davantage assumée, elle est devenue davantage majeure en prenant conscience de sa propre puissance. Le moment est donc venu de décliner son agenda de souveraineté et de redéfinir avec les Etats-Unis un partenariat transatlantique plus équilibré. Car il est de l'intérêt des Américains d'avoir avec eux une Europe forte dans une relation saine et confiante où chacun se respecte.

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Le dossier qui empoisonne tout le monde, c'est celui de la surenchère tarifaire

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Joe Biden a déjà choisi son équipe diplomatique, qu'en attendez-vous dans la relation franco-américaine?
Cette nouvelle équipe qui se met en place sait à quel point la relation transatlantique, et notre relation, a été, au long de ces quatre dernières années, aléatoire, incertaine, parfois conflictuelle, désordonnée. Elle sait que nous pouvons retrouver une nouvelle sérénité. Nous partageons la même histoire et les mêmes valeurs et nous croyons au multilatéralisme. Mais si nous sommes des amis et des alliés bienveillants, nous sommes aussi exigeants.

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Vous connaissez bien votre futur homologue Antony Blinken…
Je le connais depuis l'automne 2011 alors qu'il était dans l'équipe de Barack Obama à la Maison-Blanche et que j'étais engagé sur les questions de défense dans la campagne présidentielle de François Hollande. Je me réjouis de l'avoir comme partenaire. Nous allons nous rencontrer très rapidement dès que sa nomination sera validée par le Sénat. La fluidité et la qualité de nos échanges sera au rendez-vous. Je crois qu'il a parfaitement saisi cette nouvelle donne et qu'il n'y aura pas de retour en arrière. 

Y a-t-il des contentieux que vous souhaitez résoudre avant de vous attaquer aux grands dossiers des crises les plus urgentes?
Le dossier qui empoisonne tout le monde, c'est celui de la surenchère tarifaire et des taxes sur l'acier, le numérique, Airbus et plus singulièrement notre secteur viticole si l'on veut prendre un exemple très important. Si on pouvait rapidement trouver une méthode qui permette de régler ce contentieux avec l'Europe et la France, ce serait un pas en avant. Cela peut prendre du temps mais, en attendant, on peut toujours décréter des moratoires. 

Quels sont les sujets prioritaires à traiter avec les Américains et qui concerne directement la sécurité des Français?
Je crois que la priorité de l'administration Biden sera de vouloir réconcilier le pays avec lui-même mais j'attire l'attention sur les échéances à très court terme qui doivent nous mobiliser, que ce soit sur l'Iran, le climat, la course aux armements ou la crise sanitaire, bien sûr.

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Il est urgent de prendre les dispositions pour que l'Iran et les Etats-Unis reviennent dans l'Accord de Vienne

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Quelle est l'urgence avec l'Iran?
Nous avons tenu dans l'Accord de Vienne contre vents et marées. En sortant de cet accord, l'administration Trump a choisi la stratégie qu'il a appelée de la pression maximale contre l'Iran. Le résultat, c'est que cette stratégie n'a fait que renforcer le risque et la menace. Il faut donc enrayer cette mécanique car l'Iran -je le dis clairement- est en train de se doter de la capacité nucléaire. Il y a également une élection présidentielle en Iran à la mi-juin. Il est donc urgent de dire aux Iraniens que cela suffit et de prendre les dispositions pour que l'Iran et les Etats-Unis reviennent dans l'Accord de Vienne. Cela ne suffira pas. Il faudra des discussions difficiles sur la prolifération balistique et les déstabilisations par l'Iran de ses voisins dans la région. Je suis tenu par le secret sur le calendrier de ce genre de dossier, mais il y a urgence. 

La course aux armements, c'est l'affaire des Américains et des Russes….
Si on ne bouge pas dans les semaines qui viennent, il n'y aura plus aucun outil de régulation des armes nucléaires entre Moscou et Washington. L'accord New Start va devenir caduc et c'est l'équilibre stratégique des deux plus grandes puissances nucléaires au monde qui risque de s'effondrer. On n'a jamais vu cela depuis les années 60. L'Europe est concernée au premier chef. Des initiatives sont à prendre avec les Européens pour que ces enjeux ne se décident pas par-dessus nos têtes. 

Sur le climat, qu'attendez-vous du nouvel émissaire américain, l'ancien chef de la diplomatie John Kerry?
Là aussi, les choses se précipitent. La COP 26 de Glasgow est directement liée aux Accords de Paris. Chacun devra afficher ses nouvelles ambitions. L'union européenne a dit qu'elle avait pour nouvel objectif de faire baisser ses émissions de Co2 de 55% d'ici 2030. Mais on attend de la Chine et des Etats-Unis que ces deux plus grands pollueurs se décident d'ici la fin de l'année et suivent l'exemple de l'Europe.

Joe Biden a promis le retour des Etats-Unis dans l'OMS. C'est encourageant…
C'est essentiel. Pour renforcer le seul outil mondial qui gère les questions de prévention sanitaire et pour peser de tout de son poids face à la Chine qui veut utiliser l'OMS pour affirmer sa puissance. Mais surtout pour que l'OMS éradique cette pandémie. Tant qu'il y aura la moindre trace de coronavirus dans le monde, personne ne sera à l'abri. Il faudra vacciner tout le monde sinon le monde restera cloisonné. 

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Sur la Chine, nous ne souhaitons pas établir de logique de bloc contre bloc

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Sur le terrorisme au Levant et au Sahel, pensez-vous que les Etats-Unis voudront faire plus et mieux avec Joe Biden qu'avec Trump?
J'ai le sentiment que l'investissement américain va s'y poursuivre, probablement avec moins d'à-coups et plus de régularité et de lisibilité. En Irak, Daech reste présent avec des risques majeurs et il faut stabiliser la situation sur place avec des moyens militaires mais aussi politiques et économiques. Au Sahel, la coalition que la France anime avec ses partenaires européens et les forces du G5 Sahel continue d'avoir besoin du soutien technique et logistique des Etats-Unis. 

Emmanuel Macron avait réclamé une clarification à l'OTAN, notamment à propos du rôle de la Turquie. Avez-vous bon espoir qu'on y parvienne?
Le sommet des chefs d'Etats en 2021 sera celui de la clarification. En 2020, l'organisation a réfléchi à son avenir en termes de cohésion et de valeurs – et la Turquie fait partie de ce sujet – mais aussi aux nouvelles menaces, ce qui inclue la lutte contre le terrorisme. 

Joe Biden entend également réunir rapidement un sommet des démocraties. Ne craignez-vous pas que se cache derrière ce projet une tentative de créer un front commun contre la Chine?
Nous sommes disposés à y participer en fonction du contenu. Développer des partenariats pour défendre nos valeurs démocratiques me convient. Mais, sur la Chine, nous ne souhaitons pas établir de logique de bloc contre bloc, même si nous ne mettons pas sur le même plan la Chine, que l'Europe considère à la fois comme un partenaire, un concurrent et un rival systémique, et les Etats-Unis qui sont nos alliés. En tant que démocratie, nous sommes favorables à ce que l'on puisse monter, sujet par sujet, par exemple sur la désinformation ou la régulation du numérique, des coalitions. C'est ainsi que nous avons bâti, avec mon homologue allemand, l'Alliance pour le multilatéralisme. Si les Etats-Unis sont engagés dans une démarche similaire, nous l'accueillons très positivement.

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